164                            HISTOIRE DE LA TAPISSERIE
partageant leurs habitudes, leurs goûts, leur idéal, à des compa­triotes enfin, avec qui ils vivaient en parfaite communauté d'idées; et voici que tout d'un coup l'Italie impose à ces artisans, rompus à un style tout différent, on pourrait dire tout opposé, l'imitation d'un art délicat et raffiné qui leur est complètement étranger. On exige en même temps de ces hommes, habitués à interpréter librement le coloris et mème le dessin des cartons, qu'ils copient fidèlement, sans s'écarter d'une "ligne, ce trait magistral que la main la plus exercée pourrait à peine reproduire. Le moindre écart, la plus légère exagération dans un sens quelconque, enlèvera le caractère essentiel, la noblesse des contours,, à ces compositions sublimes, une des plus nobles conceptions de l'esprit humain. Raphaël, il faut bien le reconnaître, n'ayant aucune pratique du genre de décoration que le pape lui demandait, avait tracé d'admi­rables fresques, mais non de bons modèles de tapisseries.
Dans la plupart de ces grandes scènes, le fond est vide, le ciel occupe trop de place, l'horizon est placé trop bas ; les costumes des personnages manquent de variété et de richesse. Comme le four­millement de figures aux robes chamarrées, s'étageant les unes au­dessus des autres jusqu'à la bordure supérieure, convient mieux à la tapisserie! Aussi, dût-on nous accuser de blasphème, nous pensons que l'envoi des cartons de Raphaël dans les Flandres fut un mal­heur pour les tapissiers de Bruxelles, et contribua plus que toute autre cause à faire dévier l'art de la haute lice de sa véritable voie. Il suffit de comparer les tentures tissées en Italie, d'après les artistes du pays, aux tapisseries entièrement flamandes de conception et d'exécution, pour avoir la preuve que les Italiens n'ont jamais compris les véritables lois de l'art du tapissier et ont exercé la plus funeste influence sur les destinées de l'industrie des Pays-Bas.
La légitime admiration due aux grands maîtres de la renaissance italienne ne saurait nous ôter notre liberté d'appréciation. D'ail­leurs,, ces tapisseries du Vatican, si admirées, si vantées depuis trois siècles, commencent à descendre des hauteurs où les avait placées l'engouement des contemporains et des générations sui­vantes. On ose observer aujourd'hui que les nobles compositions du plus illustre peintre de la renaissance n'ont pas été rendues avec le respect, avec la piété qu'elles méritaient; on commence à avouer que la traduction est infidèle, bien inférieure aux originaux. On en arrivera à reconnaître un jour, n'en doutons pas, que la cause de